Sept années après la pire catastrophe naturelle qu’a connue le Burkina Faso, avec les terribles inondations du 1er septembre 2009 qui ont fait 43 morts et 200 000 sinistrés, que deviennent les victimes relogées à Yagma? Entre amertume et désolation, le quotidien de ces familles, qui ont tout perdu en l’espace de dix heures de pluies diluviennes, reste déplorable. Là-bas, à Yagma, le temps s’écoule, la routine s’installe et les espoirs continuent de s’aiguiser…
En ce mois d’août 2016, l’hivernage bat son plein au Burkina Faso. Depuis juillet déjà, les pluies ont régulièrement apporté leur lot de désolation dans les quartiers et villages. Ponts cassés, murs tombés, routes submergées rendant les voies impraticables… tout, en cette saison, rappelle gravement le drame qui a frappé le pays en 2009. Cette année-là, le 1er septembre, des pluies diluviennes, qui avaient touché 11 des 13 régions du Burkina, ont tué 43 personnes et fait environ 200 000 sinistrés. Aussi, est-ce avec une réelle inquiétude que les populations assistent, sept années après, aux incessants déferlements d’eau de Dame pluie. Ce sont en effet des concerts de prières qui s’élèvent vers le Ciel chaque que… le ciel s’assombrit de gros nuages menaçants.
Avec la crainte de nouvelles graves inondations cette année, on ne peut s’empêcher de penser aussi aux nombreuses victimes de 2009, recasées pour la plupart à Yagma. C’est en effet dans cette localité située à une quinzaine de kilomètres au nord de Ouagadougou que les sinistrés du mardi 1er septembre 2009 — un mardi noir au «pays des Hommes intègres»! — ont trouvé refuge, après un transit par des écoles et sites alternatifs. On se rappelle que plus de 32 260 maisons s’étaient alors effondrées, impuissantes face à la furie des plus de 263 millimètres d’eau tombés sur les terres burkinabè ce jour-là, avec des pertes et dommages matériels estimés à plus de 60 milliards de francs CFA.
Sept ans déjà, et ces chiffres qui soulignent avec force, aujourd’hui encore, le drame de ce «Mardi noir» fait à nouveau défiler sous nos yeux ébahis les images parfois insoutenables de personnes et de biens matériels disparaissant sous les eaux. Même si c’est par un ciel dégagé que nous prenons la route de Yagma ce 15 août 2016, jour de l’Assomption. Un jour particulier pour cette localité qui abrite le sanctuaire marial Notre-Dame de Yagma qui draine, chaque année, de nombreuses populations pour la célébration de cette fête catholique, ainsi que pour le pèlerinage national des catholiques burkinabè.
Après environ une heure de route sur un bitume dégradé, nous nous engageons ensuite sur une route poussiéreuse et accidentée et débouchons, quinze minutes plus tard, sur un croisement. Deux sites se font face, l’une à droite et l’autre à gauche, un peu à perte de vue. Deux femmes, occupées à labourer leur champ, nous renseignent: «Le site que vous cherchez est celui qui se tient sur votre gauche. Vous empruntez cette voie rouge et, 100 mètres plus loin, vous verrez le lot de concessions. C’est la zone où les sinistrés ont été relogés.»
Pitié pour nos morts!
La plus jeune des deux femmes, la trentaine environ, faisait elle-même partie des sinistrés du 1er septembre 2009. Jeune veuve, Fati Kalmogo avait en effet trouvé, comme bon nombre de sinistrés après l’effondrement de leurs maisons, «un refuge de fortune» sur ce site. C’est donc en connaissance de cause qu’elle témoigne, en mooré, des réalités de cette plateforme. «On y manque de tout! Pas de cimetière pour enterrer nos morts, pas de routes praticables ni de retenues d’eau. Bref, tout est précaire ici à Yagma…»
Selon cette dame, les autorités n’ont pas respecté leur promesse de viabiliser le site, abandonnant de surcroît à leur sort toutes les personnes qui y ont été transférées. «Après avoir fait le minimum, elles ont tous déguerpi…», confesse avec amertume Fati Kalmogo, qui digère mal, par ailleurs, l’absence de sépulture. Expliquant en substance que… les habitants de la région refusent que les sinistrés enterrent leurs morts dans les deux cimetières implantés dans les environs du site. Par-delà la souffrance, l’amertume et le désespoir de ces «malheureux du 1er-Septembre», transparaît aussi une lueur d’espoir portée par Fati Kalmogo. «Comme vous êtes venus voir nos réalités de vie, je vous demande de plaider notre cause auprès des autorités», prie la jeune dame au moment où nous prenions congé.
La voie d’accès sur le site est bien raclée avec des caniveaux d’évacuation des eaux de pluies sur chacun des deux côtés de la route. Plus loin, de petites maisonnettes font office de lieux de commerce: boutiques, kiosques à café, buvettes, bouteille d’essence, quincailleries… Ce qui ressemble à une zone commerciale prend fin en bout de piste. Côté est, se trouve l’essentiel des maisons d’habitation que l’on aperçoit aisément. A côté d’un terrain de foot qui jouxte une borne fontaine, cinq à six personnes sont assises près d’un kiosque à café, jouant aux dames. «C’est parce que nous n’avons pas de boulot que nous jouons aux dames. Les inondations ont tout emporté sur leur passage. Ici aussi, depuis que nous sommes là, c’est la routine et il est difficile pour nous de prendre un nouveau départ», indique Boukaré Nana, le doyen du groupe.
Une insécurité ambiante
Pourtant, se rappelle-t-il, au cours d’une visite dans le lycée qui leur servait d’hébergement, Blaise Compaoré, alors président du Faso, et Simon Compaoré, ancien maire de la capitale, leur avaient promis qu’ils seraient relogés sur un site viable. «Ils avaient prévus de nous donner des parcelles et de quoi construire pour que nous démarrons une nouvelle vie. Ce sont ces belles paroles qui nous ont convaincu à nous rendre à Yagma. Mais que peut-on construire avec 1,5 tonne de ciment et 20 feuilles de tôles, alors que les eaux ont emporté tous nos biens? Vraiment, c’est avec amertume que nous restons ici. C’est parce que nous n’avons plus rien et pas d’autre choix que nous sommes là depuis sept ans!», se plaint Boukaré Nana.
Pour le groupe, certaines promesses ont été tenues, notamment la construction d’une école et d’un centre de santé (lire notre encadré «faits et gestes» sur les dons réalisations). Cependant, notent-ils en chœur, beaucoup reste à faire, à commencer par la disponibilité en quantité et en qualité de l’eau potable et de l’électricité. «Le gouvernement n’est pas obligé de construire nos maisons mais le minimum qu’il puisse faire, c’est la présence sur le site de l’eau potable et de l’électricité. Par exemple, si on a le courant électrique, cela peut attirer des investisseurs qui mettront en place des entreprises. Cela créera de l’emploi pour les jeunes désœuvrés qui sont ici, et surtout cela développera Yagma», plaide encore M. Nana.
Jusque-là scotché au damier, Ali Ouédraogo se joint à la causerie en observant une pause dans le jeu: «Les routes aussi sont impraticables et pour rejoindre la ville, c’est la croix et la bannière. Que tu empruntes celle qui passe vers la clôture de l’église ou celle qui se trouve vers la carrière, tu trouveras des brigands qui vont te braquer. Donc nous souffrons…». Pour celui qui a vu ses marchandises partir avec l’eau de pluie, l’insécurité, le manque de voies praticables et la précarité constituent le lot quotidien ses camarades d’infortune et lui.
Cette insécurité qui règne de jour comme de nuit sur les voies d’accès au site oblige la plupart des habitants à ne pas prendre le risque de rejoindre la capitale pour travailler. Ceux qui font la navette préfèrent revenir en fin de semaine car rallier quotidiennement la capitale n’est pas une sinécure. Obstacle qui a obligé Odile, l’une des rares vendeuses de haricots et d’attiéké du site, à abandonner son travail de nettoyeuse de bureau chèrement acquis. «Avant les inondations, je faisais le nettoyage des bureaux à Ouagadougou. Mais comme nous sommes loin de la ville et compte tenu de l’insécurité, j’ai arrêté. Se lever chaque jour à 4 heures du matin pour rallier le grand marché de la ville pour travailler est très périlleux et difficile», confie la restauratrice. De plus, obtenir les produits de base pour son commerce relève de l’exploit car l’inaccessibilité et l’éloignement du site font que les fournisseurs ne viennent que rarement à elle. Tout compte fait, cette mère de deux enfants tient toujours à son commerce, considéré comme dernier rempart.
C’est en effet auprès de la vendeuse qu’Adissa Segda est venue acheter du haricot. Ancienne commerçante dans un marché de la place, celle qui est aujourd’hui au chômage estime que «tout le monde» les a oubliés en les abandonnant à leur sort. «Je les supplie de nous aider. Ils ne peuvent pas nous envoyer dans la brousse et nous oublier en retour. Cela n’est pas bien…», assène-t-elle avec une tristesse mêlée de colère.
Réalité déconcertante
Même si le site est doté de quelques bornes fontaines, d’une école primaire publique, d’un lycée et d’un Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) qui offre «le paquet minimum de soins» aux populations, force est de constater que celles-ci restent confrontées à une réalité déconcertante: absence de voiries, de retenues d’eau, de commissariat de police, de gendarmerie, de pharmacie et d’ambulance pour les évacuations des malades… Pourtant, le site de Yagma devait être «beaucoup viabilisé», à en croire Jean-Baptiste Zoungrana, qui était à la tête de l’unité de secours d’urgence des inondations du 1er septembre 2009 (lire interview p.12).
Malgré ces difficultés multiples et multiformes, Ali Ouédraogo dit avoir espoir et de ne nourrir aucune rancune vis-à-vis des autorités. «Depuis que nous sommes là, aucune autorité ne s’est penchée sur notre sort. Nous ne pouvons pas oublier ce qu’elles ont déjà fait mais il reste des promesses non tenues. Nous les exhortons à tenir ces promesses et à ne pas nous oublier car nous avons toujours foi en eux. Ce n’est pas parce que nous ne parlons pas que nous sommes contents», lance ce jeune père de quatre enfants…
Les suppliques des oubliés du 1er-Septembre, qui squattent la terre bénie de Yagma — rendue célèbre par première basilique mineure du Burkina qui y est implantée et abrite en plus le sanctuaire dédié à la Vierge Marie — parviendront-elles enfin à des oreilles plus attentives au point de susciter rapidement des actions plus fortes?
Par Dimitri Kaboré
Avec serge Mathias Tomondji
©Fasozine Septembre-Octobre 2016