On ne verra plus bientôt Ellen Johnson Sirleaf sur la photo de famille des chefs d’Etat africains. Après deux mandats de six ans à la tête du Liberia, la seule dame qui préside aux destinées d’un pays du continent passera le témoin à celui qui sortira vainqueur des urnes de ce mardi 10 octobre.
La présidente sortante du Liberia n’a pas tenté de tripatouiller la Constitution de son pays pour se maintenir au pouvoir. Un bon point à inscrire au crédit d’Ellen Johnson Sirleaf, 78 ans, qui observe donc de loin la bataille en cours pour sa succession, avec le secret désespoir qu’elle ne pourra sans doute pas remettre les clés de la présidence et de la maison Liberia à une femme, ainsi qu’elle l’a vivement souhaité.
Près de trois millions d’électeurs se rendront ainsi aux urnes ce 10 octobre pour élire, parmi vingt candidats, celui qui aura la lourde responsabilité de diriger le pays pendant les six prochaines années. En même temps que leur nouveau président de la République, les électeurs libériens choisiront également leurs sénateurs et leurs députés, à travers 5 390 bureaux ouverts dans 2 080 circonscriptions électorales, selon les précisions de la Commission nationale des élections (NEC).
Vingt candidats — dont une femme, l’ex-mannequin et philanthrope MacDella Cooper, 40 ans — sont donc dans les starting-blocks de cette course à l’élection présidentielle libérienne qui cristallise tous les espoirs. Comme si les populations de ce pays miné par quatorze années de guerre civile veulent définitivement, et à juste titre tire, tourner la page de ces affreux moments. Et donc se donner un président à la mesure de leurs grandes et pressantes attentes que les douze années que vient de passer la «dame de fer» au pouvoir n’auront manifestement pas comblé, ou si peu.
Critiquée de toutes parts, la première femme élue présidente sur le continent africain semble avoir sapé le capital sympathie qui l’avait porté au pouvoir en 2005. Et c’est jusque dans son propre camp que l’on s’acharne à voir, à l’heure du bilan, le verre à moitié vide, plutôt que de célébrer celui à moitié plein. Au chapelet des récriminations contre la «dame de fer», on pointe notamment la corruption, qui continue de gangrener le système politique, mais aussi son échec à donner une place réelle aux femmes dans le jeu politique libérien. Témoin de cette lourde déception, qui sonne comme une cruelle désillusion, le chef de son parti, le People’s Unification Party (PUP), Isobe W. Gborkorkollie, n’est pas passé par quatre chemins pour affirmer que «Ellen nous a trahis alors que nous nous sommes battus pour elle pendant des années»!
Un coup de semonce que vient renchérir un diplomate étranger en poste à Monrovia, qui estime que «c’est parce qu’elle a annoncé assez tôt qu’elle ne se présentera pas que la rue est restée calme». Pour lui, en effet, après avoir soulevé tant d’espoir, Ellen Johnson Sirleaf est «devenue très impopulaire». Mais pourtant, celle que tout le monde appelle «Maman Ellen» chez elle laisse l’image d’une «bosseuse» qui, foi de nombre de ses partisans, a tout de même changé le visage du Liberia, mettant un terme à la guerre civile (1989-2003) et entamant la reconstruction du pays. Les chantiers restent certes immenses dans un pays dévasté par ailleurs par deux années d’épidémie de fièvre hémorragique Ebola, mais la présidente sortante aura indéniablement marqué l’histoire de son pays dans un contexte plutôt difficile qui lui a valu d’être couronnée, en 2011, du prix Nobel de la paix.
Le plus dur reste donc à venir et le prochain locataire du palais présidentiel de Monrovia aura fort à faire pour répondre aux attentes des Libériens. La compétition semble tourner vers un duel serré entre le vice-président sortant, Joseph Boakai, et l’ancien footballeur international George Weah qui, comme on le sait, a fait les beaux jours du Paris Saint-Germain, en France, et du Milan AC, en Italie, et qui est en plus considéré par la Fifa (Fédération internationale de football association) comme «le meilleur joueur africain du XXe siècle». Dans le peloton de tête de ce scrutin aux enjeux multiples, on compte aussi Alexander Cumming, un nouveau venu sur la scène politique, et Charles Brumskine, juriste et vieux routier de la politique libérienne.
Alors que la campagne s’est focalisée sur la lutte contre la corruption, chaque candidat se présentant comme le meilleur rempart contre les maux qui minent le premier pays indépendant d’Afrique (26 Juillet 1847), on attend de savoir, d’ici le 25 octobre, qui raflera la mise dans les urnes en ce deuxième mardi d’octobre 2017. La grande question qui est actuellement sur toutes les lèvres est de savoir si, après son échec de 2005, le sénateur George Weah, qui propose un ticket avec Jewel Howard Taylor comme vice-présidente, déposera enfin ses valises à la présidence de la République. Ce choix de l’ancienne épouse de Charles Taylor comme colistier est un pari à la fois osé et risqué.
En effet, Charles Taylor laisse des souvenirs ardents d’un chef de guerre ayant endeuillé de nombreuses familles en Sierra Leone, mais aussi dans son pays, qu’il a dirigé de 1997 à 2003. Cependant, le duo semble avoir fait de belles incursions dans certaines parties du Libéria où l’ancien président, toujours considéré comme un héros malgré les atrocités de la guerre, bénéficie encore d’un soutien massif. Autant dire qu’entre Joseph Boakai et George Weah, qui font actuellement la course en tête, il n’y a plus que Charles Taylor pour faire la différence. En attendant le coup de sifflet final des électeurs, comme arbitre souverain et impérial…