Après le Bénin (1er août), le Niger (3 août) et le Burkina Faso (5 août, mais dont les manifestations sont consacrées le 11 décembre de chaque année, date de la proclamation, en 1958, de la République), c’est au tour de la Côte d’Ivoire de célébrer, ce 7 août, le 57e anniversaire de son indépendance. Et cela avant le Congo-Brazzaville et le Gabon, qui boucleront ces commémorations du mois estival respectivement les 15 et 17 août 2017.
Sur les bords de la lagune Ebrié, la célébration du 57e anniversaire de l’indépendance du pays de feu Félix Houphouët-Boigny a lieu dans un contexte sécuritaire préoccupant sur fond de guerre de succession à la tête de l’Etat en 2020. Mais pour l’heure, et même si les positionnements stratégiques dans l’optique de la prochaine élection présidentielle se dessinent à grands traits sous les crayons de rivalités criantes, la situation militaro-sécuritaire reste au premier plan des priorités du moment.
Depuis plusieurs jours en effet, des attaques se succèdent contre des postes de gendarmerie ou de police. Dernière en date, celle qui a frappé, dans la nuit du 3 au 4 août, le commissariat de police de la ville d’Adzopé, près d’Abidjan, et qui porte à cinq le nombre d’attaques de ce type en moins d’un mois en Côte d’Ivoire. Mais au-delà de ces soubresauts qui soulignent la fragilité du système sécuritaire du pays, il y a lieu de prendre des décisions courageuses et énergiques pour remettre de l’ordre dans la grande muette qui, malheureusement, n’a eu de cesse de faire parler la poudre depuis le début de l’année pour des revendications pécuniaires.
Théâtre ces derniers mois de mutineries de soldats réclamant le versement de primes, la situation militaro-sécuritaire de la Côte d’Ivoire suscite en effet de grandes inquiétudes. En janvier puis en mai, la paix des populations a ainsi été prise en otage par des «mutineries d’anciens rebelles intégrés dans l’armée, et qui réclament le paiement de primes promises». Un feuilleton qui a défrayé la chronique avec de fortes odeurs de millions de francs CFA, et qui reste comme une épée de Damoclès sur la sécurité et réconciliation des Ivoiriens. A la mi-juillet encore, la commune abidjanaise d’Abobo et la ville de Korhogo (635 kilomètres au nord de la capitale économique ivoirienne) ont essuyé des tirs d’hommes à la gâchette facile, qui ont fait trois morts.
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, semble avoir pris la mesure du défi, qui a promis ce dimanche, veille de la célébration de l’indépendance, d’investir davantage dans «l’amélioration des conditions de vie et de travail des forces de défense et de sécurité». Mais aussi dans leur «formation» et dans la mise à disposition des «équipements nécessaires». Pour le chef de l’Etat ivoirien en effet, il est impératif de… «créer une armée véritablement républicaine», «réconciliée dans ses différentes composantes» et «au service de la nation, pour protéger la population et les institutions».
Ce message vient incontestablement ponctuer les changements déjà effectués récemment dans les hiérarchies militaire et civile du département de la Défense, désormais aux mains d’Hamed Bakayoko élevé au rang de ministre d’Etat. Fidèle parmi les fidèles du président ivoirien, la nomination, le 19 juillet dernier, du nouveau ministre de la Défense, 52 ans, semble avoir rassuré les troupes qui apprécient le sens de l’écoute de ce journaliste. Ayant précédemment dirigé le département de l’Intérieur, il a certainement les outils pour réussir sa périlleuse mission, au moment où s’exacerbent, dans toutes les chapelles politiques du pays, les appétits pour la succession, en 2020, de l’actuel président Alassane Ouattara.
En tout état de cause, annonce Hamed Bakayoko, «la reconstruction de cette armée est un défi majeur. Ma priorité va être d’être au contact des troupes pour bien capter les préoccupations, d’apporter des réponses, dans le sens de l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, et d’exiger d’eux la discipline». La quête est donc simple: rester au contact des troupes, capter leurs préoccupations, apporter des réponses satisfaisantes, et tout cela dans la discipline, qui fait la force principale des armées. C’est justement là, sur le terrain de la discipline, que l’on attend de voir se produire rapidement des changements qualitatifs au niveau du management de la grande muette, qui aura donné bien des frayeurs au continent depuis le début de cette année.
En déclinant ainsi la vision globale de la «reprise en main» de l’armée ivoirienne, le ministre de la Défense, que vient d’appuyer les promesses du chef de l’Etat, tente de désamorcer une bombe qui pourrait produire encore, si l’on n’y prend garde, de graves effets à retardement. Seulement, une chose est d’annoncer des mesures, de libeller des promesses, une autre est de les tenir, d’une part, et d’obtenir, d’autre part, la contrepartie espérée. Au-delà des festivités et des bons mots de la célébration du 57e anniversaire de l’accession de la Côte d’Ivoire à la souveraineté nationale, il faut toutefois espérer que cette date «fédératrice» serve de catalyseur aux aspirations des Ivoiriens à la paix et à la réconciliation.
Les héritiers du père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny, — décédé le 7 décembre 1993 —, sauront-ils redonner du sens au principal enseignement du «Vieux» qui continue de proclamer par-delà sa tombe que «la paix n’est pas un vain mot, c’est un comportement»? Malheureusement, jusque-là, et quel que soit le bord dont ils se réclament, les héritiers du premier président de la Côte d’Ivoire indépendante n’ont toujours pas réussi à transcender la fatalité en se donnant résolument la main. De coup d’Etat en mutineries puis en violente crise postélectorale, le pays, actuellement à la recherche d’une réconciliation introuvable, semble avoir perdu les repères qui ont longtemps inhibé son parcours glorieux et paisible dans une sous-région alors tourmentée par la «mode kaki».
Oui, il faut impérativement réécouter Alpha Oumar Konaré, président du Mali au moment du décès de Félix Houphouët-Boigny, et lui donner, par les actes — Tiens, «la paix est un comportement»! —, une belle et éloquente réplique. «Quand le baobab s’effondre, comment garder les oiseaux? Si les héritiers ne se donnent pas la main, ils ne pourront assumer l’héritage», avait-il en effet pronostiqué au lendemain de la mort du «Vieux». Manifestement, il est temps d’y arriver. Il est enfin plus que temps d’assumer honorablement l’héritage… en se donnant la main! Et en regardant demain avec plus d’espérance afin de sortir de ce piège sans fin…