Aujourd'hui,

A L'HONNEUR

Représentant résident d’AfricaRice à Madagascar, Moussa Sié vit pour et par le riz. Chercheur jusqu’au bout des ongles, celui qui est, depuis 2010, chargé de recherche, grade terminal, classe exceptionnelle n’oublie ni le Burkina Faso, son pays natal, ni la rizière de la vallée du Kou où il a passé ses jeunes années…

C’est un homme affable et courtois, qui tient l’amitié et la solidarité pour valeurs cardinales de son action. Déjà aux portes de la retraite, Moussa Sié est resté égal à lui-même, après toute une vie passée à aller au bout de ses efforts, toujours plus loin dans… la recherche de la satisfaction de ses ambitions. Des ambitions qui se confondent aussi avec une passion enfantine où la rizière de son défunt père était aussi un espace de prédilection et d’épanouissement.

De fait, Moussa Sié a toujours composé avec le riz. Ce n’est donc pas un hasard s’il aime au surplus savourer un bon plat de riz à la sauce d’arachide. Né à Dédougou le 20 octobre 1953, il passe une bonne partie de son enfance à Bama, chef-lieu de la Vallée du Kou, où son père était affecté comme directeur de l’école, puis à Bobo-Dioulasso. Et c’est à Bama que le jeune Moussa se familiarise avec la culture du riz. Chef d’une famille nombreuse — la fratrie compte encore 15 enfants vivants aujourd’hui —, Oumarou Sié avait en effet, au-delà de ses activités professionnelles d’enseignant, érigé une rizière à Bama, au point d’être adopté comme un fils du village par les paysans de la vallée du Kou, réputée pour la culture du riz.

Passionné de la recherche
Très proche de son père — tout heureux d’avoir enfin un garçon dans la famille après la naissance consécutive de trois filles —, Moussa Sié adopte pour ainsi son univers et devient passionné de la recherche et du riz. De sa mère, ménagère, Moussa fait une vraie confidente. «Il fallait bien s’entendre avec maman pour avoir de bonnes relations avec moi», confie-t-il aujourd’hui, nostalgique. Le solide gaillard à la voix un peu rauque est d’ailleurs intarissable quand il s’agit d’évoquer les souvenirs de son enfance. Et le meilleur d’entre eux est un mélange d’humilité, de reconnaissance et de solidarité. «Les paysans de la Vallée du Kou ont envoyé un corbillard à Bobo-Dioulasso pour accompagner ma défunte mère à sa dernière demeure», témoigne celui qui est aujourd’hui représentant résident d’AfricaRice à Madagascar. Jamais Moussa Sié n’oubliera cette marque de reconnaissance!

Mais que de chemin parcouru, que d’obstacles surmontés pour garder sa passion pour la recherche chevillée au corps! Il y a eu d’abord la période, heureuse, où le jeune Moussa immerge avec bonheur dans le monde rural. Il évoque ainsi notamment le temps où, en 1968, il passe ses vacances auprès de son oncle, agent technique de l’agriculture à Moussodougou, récoltant le riz avec un indicible plaisir. Après l’obtention de son baccalauréat série D en 1973, et contrairement à ses attentes, Moussa Sié est plutôt orienté en… médecine animale (docteur vétérinaire).

Il débarque donc à Paris, puis à Rouen et fait face à une galère terrible entre des histoires de bourses et… d’orientation. Il trouve donc des jobs pour «ne pas péter les plombs». Il s’en sort plutôt bien avec son permis de conduire, qui lui permet d’obtenir un stage à la Société nationale des chemins de fer (SNCF), puis d’y être engagé pour réceptionner les wagons loués par les entreprises. Ce qui lui vaut le surnom de «Le cheminot». Moussa Sié garde aussi les bateaux au port du Havre de 18 heures à 5 heures le matin, s’initie au reportage radio, à la prise de vue, etc.

Le destin s’écrit en lettres d’or
Seulement voilà! L’enfant qui passait tous ses week-ends au champ, avalant à vélo les 25 kilomètres qui séparent Bobo-Dioulasso de la rizière paternelle de Bama, ne s’est pas écarté de sa vocation première. Après bien des détours et des péripéties, le destin agronomique du jeune s’écrit en lettres d’or. Et l’obtention, le 22 juin 1979, du Diplôme d’études supérieures des techniques d’Outre-Mer, où il soutient un mémoire sur l’«Amélioration variétale du riz pluvial en Côte d’Ivoire», sonne comme une victoire sur l’adversité.

A force de patience et de persévérance — deux de ses principaux traits de caractère —, cet amoureux de la pêche à la ligne reste sur sa lancée, se mêle de génétique, et décroche, en octobre 1991, un doctorat d’ingénieur en génétique et amélioration des espèces végétales. Sa thèse — «Prospection et évaluation génétique des variétés traditionnelles de riz (Oryza sativa L. et O. glaberrima Steud) du Burkina Faso» —, soutenue à la Faculté des sciences et techniques de l’Université de Côte d’Ivoire, obtient la mention «Très bien». Il y ajoutera, en 1997, une thèse sur l’«Utilisation des constantes thermiques comme critères de sélection de variétés de riz adaptées à la riziculture irriguée au Sahel», qui lui vaut le titre de docteur en sciences agronomiques, option biologie, diversité et adaptation des plantes cultivées de l’Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier, en France, avec la mention «Très honorable».

Toujours entre deux avions, après plusieurs stages, missions et fonctions au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, Moussa Sié devient, en 2008, chef de programme «Diversité et amélioration génétique» au Centre du riz pour l’Afrique (AfricaRice, ex-Adrao) à Cotonou, Bénin. Avant d’être nommé, en 2014, à la tête de la représentation d’AfricaRice à Madagascar, premier pays consommateur de riz en Afrique et deuxième au monde. Mais il n’a jamais rompu avec son pays, où il a d’ailleurs apporté son expertise dans le domaine avec des fortunes et infortunes diverses. Il fut ainsi notamment chef du programme amélioration variétale du riz au sein du Programme national de recherches agricoles (PNRA).

Des états de service qui lui valent aussi une reconnaissance méritée de la nation. Chevalier de l’Ordre national, il est également lauréat, en 2006, du Prix du Président du Faso — «avec mes collaborateurs du Programme riz de l’Inera», précise-t-il avec modestie —,  lors de la cinquième édition du Forum sur la recherche scientifique et les innovations technologiques (FRSIT). Il reçoit aussi, la même année, au Japon, le Prix international pour la recherche sur les variétés de riz. Il est vrai que l’homme a passé quatorze années de sa vie à l’Institut de l'environnement et de recherches agricoles (Inera) où par divers croisement, il a créé une bonne soixantaine de variétés de riz! Son haut fait d’arme: la création du Nerica (New rice for Africa, nouveau riz pour l’Afrique) adapté à la culture de bas-fond, faisant du Burkina Faso le premier pays à avoir développé cette variété, après le Nerica de riz pluvial créé quelques années plus tôt.

Marié et père de trois enfants, Moussa Sié est assez fier de son travail de chercheur sanctionné par «des prix et reconnaissances internationaux, plus de 100 variétés de riz développées, la formation de plus de 50 jeunes». Mais ce n’est pas tout! Cet homme de 63 ans qui «prends toujours la vie du bon côté», admis au grade de directeur de recherche du Centre africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames), est l’heureux coordonnateur d’un dense réseau de jeunes chercheurs issus de 30 pays africains.

Paix et réconciliation
S’il regrette n’avoir pas réussi à être toujours présent auprès de ses enfants et de n’avoir pas assez fait pour ses chers parents, Moussa Sié n’est pas moins un leader et une référence continentale et universelle qui cultive avec ses compatriotes résidant sur la Grande Ile, depuis qu’il y séjourne, la solidarité et l’entraide qui lui tiennent à cœur. Dans cette communauté forte d’une trentaine de personnes, le «doyen», ainsi qu’on l’appelle affectueusement en raison de son âge, apporte sa chaleur, sa joue de vivre et une certaine expérience des choses de la vie…

Mais l’homme reste modeste et rêve, telle une colombe, de paix et de réconciliation pour tous, partout. Bien entendu, celui qui a beaucoup travaillé en matière de recherche pour «être utile à sa communauté» peut dormir tranquille et jouir, bientôt, d’une retraite amplement méritée. C’est sûr cependant qu’il ne restera pas loin des rizières et des champs et que, s’il en avait le pouvoir, Moussa Sié, en plus de valoriser le riz africain, travaillerait à… «supprimer les barrières raciales».


© Fasozine N°68, Mars-Avril 2017

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